Thursday, November 09, 2006

Crime de guerre et massacre a Beit Hanoun

Pour les habitants de Beit Hanoun, Tsahal a tiré "délibérément"
LE MONDE | 09.11.06 | 13h42 • Mis à jour le 09.11.06 | 13h42
BEIT HANOUN ENVOYÉ SPÉCIAL


Il était près de 5 h 30, mercredi 8 novembre. Tout le monde dormait encore dans les faubourgs de Beit Hanoun, cette bourgade palestinienne de 30 000 habitants située dans le nord de la bande de Gaza, près de la frontière avec Israël. Le premier obus a percé le toit de la maison de la famille Athamana, ne laissant derrière lui que de la ferraille tordue. Il a explosé dans la chambre de trois adolescents, soufflant le balcon et criblant les murs d'éclats.


Pas une trace de sang sur les matelas. Les trois garçons ont été projetés du troisième étage et tués sur le coup. Dans la pièce voisine, une écolière de 13 ans, Khouloud, morte elle aussi, a laissé son cartable prêt pour la journée. De l'autre côté du mur, une femme de 25 ans, sa fille de 2 ans et son bébé de 6 mois n'ont pas survécu à l'explosion. Il ne reste que des débris, des chaussures éparses, et un porte-bébé vide.

Soudain, des cris. Ahjad a perdu deux de ses sept enfants. Il a été blessé à la jambe et revient de l'hôpital. "Mes enfants, mes enfants. Ils ont lancé des missiles sur mes enfants. J'ai tout perdu. Laissez-moi tranquille. Je vais aller tuer Sharon." Tel un somnambule, il parcourt les lieux du désastre en pleurant. Un homme s'emporte contre la presse. "A quoi cela sert d'écrire tout cela ? C'est toujours la même chose, toujours les mêmes tueries. Ça fait trop longtemps que cela dure, que l'on nous massacre et que rien ne change. Il ne nous reste plus que les attentats-suicides."

Le deuxième obus est tombé sur la maison voisine. Le trou est béant au-dessus du balcon. Il n'y a eu que des blessés. Les occupants avaient eu le temps de partir avant la déflagration. Dans la troisième maison, l'obus a touché l'angle du toit et a fait voler en éclats un pan de mur. Tout le monde est sorti, chacun se précipitant pour porter secours aux blessés. C'est alors qu'une autre salve d'obus est tombée. L'un d'eux a frappé la cage d'escalier de la première maison, tuant les fuyards. Un autre a transformé en charpie deux secouristes bénévoles. Des flaques de sang sont encore visibles dans la rue, au milieu des sandales perdues et des murs noircis troués d'éclats.

Combien d'obus sont-ils tombés en moins d'un quart d'heure ? Les habitants donnent le chiffre de treize. Au moins huit impacts ont été relevés. La presque totalité des dix-huit victimes - huit enfants, cinq femmes et cinq hommes - sont mortes dans le premier bâtiment. Les Israéliens l'avaient occupé avant leur retrait, mardi. Il leur permettait de dominer le secteur. Du toit, on voit les traces encore fraîches du passage des blindés et des chars. Omar Athamana ne comprend pas. Ce policier a perdu ses trois frères et deux cousins dans la tragédie. "J'étais avec Abou Mazen (Mahmoud Abbas), avec le Fatah, mais maintenant je ne suis plus avec personne. Je suis un terroriste, je suis un kamikaze. Car ce n'est pas une erreur, ce n'est pas une bavure. On aurait pu l'admettre s'il y avait eu un seul obus, mais pas tous ces tirs."

Le sentiment général est qu'il s'agit d'une punition, car, après six jours d'une opération qui a coûté la vie à cinquante-six Palestiniens, les tirs de roquettes ont repris de plus belle après le départ de Tsahal. Ghazi Ahmad, porte-parole du gouvernement, estime que la tuerie est "délibérée, que ce n'est pas une méprise et qu'en conséquence les attentats-suicides sont un droit légitime".

Chaque interlocuteur fait remarquer les moyens technologiques dont disposent les Israéliens, notamment les drones et le ballon dirigeable qui survole en permanence le secteur. "Ils savent exactement où les obus tombent. Alors, pourquoi les tirs d'artillerie continuent-ils ?", se demande un habitant de Beit Hanoun.

Après six jours de siège, la ville est sinistrée. Les chars ont défoncé les rues, écrasé les voitures, éventré les magasins, couché les pylônes électriques, crevé les conduites d'eau et les égouts. Même le cimetière n'a pas été épargné. De la mosquée vieille de huit siècles, il ne reste que le minaret.

Beit Hanoun croyait pouvoir respirer après l'assaut, mais la foudre s'est abattue de nouveau. A l'hôpital Kamal Adwan de Beit Lahiya, où ont été transportées les victimes, Ramez Athamana est au chevet de son fils de 7 ans, qui vient d'être amputé d'un pied. Il a perdu sa femme, ses deux filles, son père, sa grand-mère, sa belle-soeur, son frère, sa soeur, sa belle-mère. Au total, neuf de ses proches. Dans le lit voisin, une autre de ses belles-soeurs a eu le pied sectionné et l'avant-bras arraché. "Il ne me reste plus que la résistance, les attentats-martyrs", dit-il.

Lorsque Ismaïl Haniyeh, premier ministre, et Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, se présentent dans la chambre, une femme leur demande d'"assumer leurs responsabilités, de s'unir" et de prendre à leur charge les enfants des victimes. Il n'y a pas de larmes, pas de cris. Juste un sentiment d'injustice.
Michel Bôle-Richard

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