Thursday, June 14, 2007

L'envoyé de l'ONU accuse Washington d'avoir encouragé le chaos palestinien

L'envoyé de l'ONU accuse Washington d'avoir encouragé le chaos palestinien
LE MONDE | 14.06.07 | 14h45
JÉRUSALEM CORRESPONDANT

près deux années passées comme envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU au Moyen-Orient, Alvaro de Soto dresse, dans un rapport confidentiel de fin de mission daté du 5 mai et révélé le 13 juin par le Guardian, un constat dramatique et désabusé sur le conflit israélo-palestinien.

A tel point que ce Péruvien qui, pendant vingt-cinq ans, s'est évertué à trouver une solution aux conflits de la planète, se demande s'il est nécessaire de pourvoir au remplacement de son poste (ce qui est déjà fait en la personne du Britannique Michaël Williams) et au maintien du Quartet, cette entité constituée par les Etats-Unis, l'ONU, la Russie et l'Union européenne. A tout le moins, "le rôle des Nations unies devrait être sérieusement revu", fait remarquer le diplomate international, dans un texte de 51 pages particulièrement amer et pessimiste où il fait part de ses désillusions.

Passant en revue tous les événements qui ont émaillé son mandat, M. de Soto constate, comme il l'a déclaré récemment au quotidien Haaretz, que "la situation est extrêmement volatile lorsqu'il n'y a pas de progrès dans le processus de paix et que le boycottage de l'Autorité palestinienne se poursuit".

A ce propos, il dénonce la suppression de l'aide directe de la communauté internationale, dont "les conséquences ont été dévastatrices sur le plan humanitaire et dans l'affaiblissement des institutions palestiniennes". "Les mesures prises censées conforter les Palestiniens qui avaient le désir de vivre en paix avec leur voisin ont eu l'effet contraire." Avant d'ajouter que "les eurocrates ont réalisé qu'ils avaient dépensé plus d'argent en boycottant l'Autorité palestinienne que lorsqu'ils la soutenaient et qu'en la contournant, cela n'a pas permis de la consolider, mais que cet argent a été investi à fonds perdu".

"J'éprouve une grande tristesse", avait-il dit en quittant ses fonctions. Ayant travaillé au Salvador, à Chypre, il fait remarquer que le retrait israélien de la bande de Gaza, qui a soulevé tant d'espoirs, a été utilisé par Ariel Sharon "pour obtenir des concessions importantes des Etats-Unis alors que la construction de "la barrière de sécurité" se poursuivait et que des colons s'installaient en Cisjordanie". De fait, constate M. de Soto, la bande de Gaza est devenue "une prison à ciel ouvert" et le processus s'est enlisé d'autant que le Hamas a remporté les élections générales du 25 janvier 2006.

Analysant la mise en place du processus de boycottage du Mouvement de la résistance islamique qui avait gagné démocratiquement les élections, M. de Soto estime que le rejet de l'issue du scrutin par la communauté internationale, qui l'avait pourtant appelé de ses voeux, a été une erreur. "Le Hamas évoluait et pouvait encore le faire et nous devions l'encourager dans cette évolution, de sorte qu'un dialogue puisse s'instaurer dans lequel l'ONU aurait eu un rôle à jouer."

"Nous parlons au Hezbollah et nous avons raison de le faire car c'est important et qu'il n'y a pas de solution au Liban sans cette organisation. Ce devrait être la même chose avec le Hamas", tranche M. de Soto. Au lieu de cela, Israël a poursuivi sa politique "des faits accomplis" qui rend de plus en plus difficile, voire impossible, la création d'un Etat palestinien viable dont les diplomates ne cessent de parler sans que rien ne se concrétise d'une manière ou d'une autre. Au contraire. Alvaro de Soto rapporte que "les Américains ont poussé à une confrontation entre le Hamas et la Fatah" et, s'interroge-t-il, "je me demande si les autorités israéliennes réalisent qu'elles récoltent ce qu'elles ont semé et qu'elles encouragent systématiquement le cycle violence-répression au point qu'il se nourrit de lui-même".

Dans ce testament accablant sur les incapacités des uns et des autres à vouloir résoudre ce conflit, une mention particulière est adressée aux Etats-Unis, qui dictent leur volonté au Quartet et à Israël, et qui se sont "réfugiés dans une position de rejet, dans laquelle ils sont prisonniers, en insistant sur des préconditions dont on sait qu'elles ne sont pas réalisables".

"L'expérience démontre que ces préconditions sont habituellement un masque du manque de volonté de négocier. Comme le disait Colin Powell, ancien secrétaire d'Etat américain, vous ne pouvez négocier lorsque vous dites à l'autre partie "Donnez-moi ce à quoi des pourparlers vont aboutir avant que ceux-ci ne commencent"."

Alvoro de Soto déplore qu'au cours des deux années qu'il a passées dans la région, l'ONU a "traité Israël avec une extrême considération, presque de la tendresse", et qu'il doit être mis fin à cette situation "d'autocensure". "Je ne crois honnêtement pas que l'ONU rende service à Israël en ne parlant pas franchement de ses manquements dans le processus de paix. Nous ne sommes pas un ami d'Israël si nous permettons à ce pays de s'autosatisfaire que les Palestiniens soient les seuls à blâmer, ou que ce pays puisse, avec légèreté, continuer à ignorer ses obligations liées aux accords passés, sans payer un prix diplomatique à court terme et un prix beaucoup plus élevé en matière d'identité et de sécurité à plus long terme."


Michel Bôle-Richard
Article paru dans l'édition du 15.06.07

No comments:

Post a Comment